Isabelle Pasquet, sénatrice communiste des Bouches-du-Rhône, est co-auteure de la proposition de Loi sur le repos dominical qui sera débattue le 9 décembre prochain et ce malgré les entraves des sénateurs de droite et du Gouvernement. Voici son intervention.
En 2009, le Sénat a adopté à seulement trois voix de majorité la proposition de loi du député M. Mallié affirmant le principe du repos dominical, pour y déroger dans nombre de communes. Ces deux objectifs sont antinomiques : pour satisfaire le second, qui profite directement aux employeurs, il faut réduire les droits des salariés. C'est pourquoi la gauche et une partie des sénateurs de la majorité avaient voté contre. Je remercie la commission d'avoir enrichi la proposition de loi et préservé ses caractéristiques.
Comme l'écrit bien l'historien Robert Beck, dans son Histoire du dimanche : de 1700 à nos jours, « à partir de la loi de 1906, le congé du dimanche n'a plus rien de religieux. Une loi pour la sanctification du dimanche avait effectivement été promulguée en 1814, mais elle était tombée en désuétude. » On ne peut donc pas voir dans le repos dominical un héritage d'une époque où la France était la fille aînée de l'église, il s'agissait, un an après la séparation des Églises et de l'État, d'accorder un même jour chômé à tous les travailleurs, gage d'une société qui avance au même rythme pour tout le monde. C'était reconnaître que le fait de disposer d'un jour commun de repos est profitable pour la société dans son ensemble : il est bon que l'on puisse avoir des activités hors du domaine marchand, un temps pour soi, pour ses proches, pour l'altérité.
Notre proposition de loi revient sur les excès de la loi Mallié, sans prétendre interdire tout travail le dimanche ; il est évidemment indispensable dans certains services publics, les hôpitaux, les transports, ainsi que dans certains secteurs industriels -où l'extinction des machines est impossible. Le besoin d'ouvrir des magasins de meubles ou d'équipements sportifs est moins évident.
M. Lefebvre s'en est pris à notre proposition de loi en rapportant le refus d'un boucher des Abbesses. Nul ne conteste à ce commerce alimentaire le droit d'ouvrir le dimanche matin. Dans sa circonscription, le ministre ferait mieux de s'en prendre aux supermarchés qui restent ouverts en toute illégalité jusqu'au dimanche soir. Et M. Sarkozy vantait une « République irréprochable » ! Les touristes ? Les Chinois, les Américains, les Proche-Orientaux décident-ils de venir ou non en France en fonction de l'ouverture du boucher des Abbesses le dimanche après-midi ?
Les salariés travaillant le dimanche ne sont pas tous traités à égalité, selon qu'ils travaillent dans un périmètre d'usage de consommation exceptionnel (Puce) ou ailleurs. Or, tous méritent une contrepartie financière. L'Organisation internationale du travail l'a recommandé dans son rapport de 2011. À Plan-de-Campagne, vaste zone commerciale proche de Marseille, la majoration du travail dominical est de 25 %, soit le taux applicable aux heures supplémentaires, inférieur aux engagements du Gouvernement ; et les salariés n'ont guère de choix, vu le lien de subordination.
Le volontariat est un mythe. La direction du magasin Ed-Dia d'Albertville tirait au sort les prétendus volontaires pour travailler le dimanche ! Ce, pour cinq euros ! Il a fallu 104 dimanches de grève pour que les employés obtiennent le droit de ne pas travailler le dimanche. Cette lutte trouve un reflet dans notre proposition de loi. L'accord entre salarié et employeur doit être écrit et le contrat de travail ne saurait prévoir de travail dominical systématique.
Un sondage fait apparaître que 67 % des Français -des actifs, en fait- seraient favorables au travail dominical. Mais ils ne sont que 17 % à être disposés à travailler tous les dimanches et 50 % à le faire occasionnellement. Certes, 67 % des Français trouvent agréable que les magasins soient ouverts le dimanche, mais ils sont 85 % à refuser de travailler ce jour-là. Le renoncement au repos dominical est souvent un choix contraint pour des salariés sous-payés. Que faire quand, comme nombre de femmes dans la grande distribution, on gagne 160 euros par semaine ?
Nous proposons d'interdire toute dérogation nouvelle pour les Puce et de figer leurs périmètres. Tel centre commercial a été déclaré Puce après avoir été ouvert illégalement durant des mois, au prétexte que des habitudes de consommation s'étaient instaurées. Les Puce d'opportunité doivent être sanctionnés.
L'Organisation internationale du travail (OIT) a rappelé que l'amendement de la convention sur le repos hebdomadaire n'autorise que des dérogations limitées. Le rapport précise que l'impact des dérogations sur la vie familiale et sociale n'est pas suffisamment pris en compte.
La proposition de loi va dans le bon sens : pas de remise en cause des Puce existants, mais limitation des dérogations pour l'avenir et meilleure protection des droits des salariés. Loin d'être politique, ce texte est équilibré. Les partenaires sociaux et les salariés l'attendent.
Isabelle Pasquet
Le 16 novembre 2011